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Réflexion sur la promotion de la musique contemporaine
Le texte suivant n’a pas d’autres finalités que de
vous faire réfléchir, réagir et participer
à une réflexion. Certains aspects par trop rapides,
osés, passéistes comme par ailleurs futuristes
sont totalement ouverts à échanges et ainsi
rendre vivante cette page internet.
Merci pour vos commentaires, à vos claviers !
Synthèse d'une conférence donnée par J.Grau dans le cadre
de "l'Europe de l'écriture", centre d’étude de l’écriture,
section analyse musicologique C.N.R.S-Université Paris VII
L’improvisation est une constante de la " technique "
des artistes du 16èmesiècle. Elle
est exercée partout, aussi bien à l’église
dans le cadre du chant liturgique que dans la musique à
caractère profane sur les basses obstinées et
plus généralement dans l’art des diminutions.
L’ornementation que l’on retrouve dans toutes les formes d’art
est pour la musique et les arts se déroulant dans le
temps l’action d’improviser à partir ou autour de l’écrit.
D.Ortiz en 1553 décrit des duos (clavecin et viole)
reposant uniquement sur le principe de l’imitation donc sans
matériel préalable, ce que nous avons nommé
au XXème siècle l’improvisation " libre ".
Nous savons que l’action d’improviser sur une suite d’accords
ou dans le cadre des fameuses basses danses (en trois parties
d’après T. Arbeau (1588, 95 et 96) était partie
intégrante de la formation et pour tout dire du vécu
des musiciens. Il est néanmoins impossible d’avancer
avec précision l’exactitude du contenu ou l’origine
de ses créations en direct. Cette forme de tradition
orale se retrouve plus tard et se réalise par la coutume
d’improviser un prélude avant de débuter une
œuvre afin d’installer la couleur d’une passion.
" Les préludes non mesurés "
ou/et préludes de " caprice " sont
utilisés par de nombreux compositeurs. J. Hotteterre
(" dit le romain " probablement
suite à un séjour à Rome) dans l’art
de préluder(1707) définit le prélude
de caprice comme le véritable caprice, il doit être
produit sur-le-champ sans aucune préparation. De
Grocheio, J de Moravia(1300) ainsi que les Calixtinus et Faenza
codex nous permettent néanmoins de mieux percevoir
les contours de cette réalité, sa complémentarité
avec la danse puis d’approcher le problème de la mensuration
et des proportions. La " musica ficta "
pendant longtemps a posé des questionnements quant
aux altérations non précisées et le peu
d’informations quant aux formations vocales et/ou instrumentales
utilisées. Il est probable que les interprètes
s’adaptaient selon les conditions d’exécution et de
la prononciation du texte. G de Machaut reste pour nous une
source " iconographique " inestimable
tant par son œuvre musicale que par ses poèmes.
. Relever l’importance des musiciens-poètes qui se
produisaient dans diverses cours est sûrement une trace
de cette pratique, mais ne célébrait-elle pas
l’action artistique au point d’en être indissociable,
un parallèle osé serait de la comparer à
l’énigme des " signes ou symboles "
dans ce que nous pourrions qualifier "une forme d’oralité
de l’écrit " en Asie et plus particulièrement
au Japon.
Imaginons la réaction de ses artistes confrontés
à nos enregistrements ne permettant plus ce mouvement
créatif, ajoutons que le rapport à la partition
que nous a laissé le XIXème siècle est
un conditionnement inimaginable pour la Renaissance. Remarquons
là encore que F.Liszt et F.Chopin pour ne citer qu’eux
étaient des improvisateurs de génie.
On entend encore parfois avancer que les glosas,
forêts d’ornements, diminutions, passages…seraient
seulement dus à une forme de réaction à
" l’infériorité " des instruments
par rapport à la voix. En fait dès le XIIIème
siècle et plus généralement dans la polyphonie
médiévale, certaines voix étaient improvisées
en contrepoint à une mélodie donnée ou
cantus firmus selon tout un corpus de règles
connues qui participeront ainsi plus tard à la formation
de tout musicien afin que tremolo, gruppo, trillo,
esclamazione, accento et sprezzatura leurs soient
naturels.
Les chanteurs ont naturellement une lourde tâche lorsqu’ils
se livrent à l’ornementation improvisée, ils
doivent inventer des figures adaptées aux conditions
musicales et poétiques, mais aussi prononcer les mots
et ajuster la diction du texte à la forme des agréments,
passages et accents. Cette donnée est tout à
fait fondamentale car chaque accent régional implique
une rythmique différente ce qui rend si complexe la
compréhension des publics de notre époque. Si
au XXI siècle dans de nombreuses salles d’opéra
le livret est visible et traduit, les différences
de prononciation étaient telles que nous avons là
l’explication probable des chansons de gestes sans " partition ".
Ce mouvement amène à la fin du XVIIème
siècle le 1er dictionnaire de l’Académie
française. En effet, dans l’éventualité
de cette volonté de normalisation de la prononciation,
Les mots induisent l’accent musical qui amèneront toutes
les figures de réthorique.
En outre, le développement de l’imprimerie musicale
en 1501 en Italie puis rapidement un peu partout en Europe
a probablement accéléré la séparation
des fonctions entre compositeur-interprète…
Cette " révolution en marche "
a bien sûr permis l’écriture de nombreuses méthodes
d’improvisation pour toutes sortes d’instruments : S
di Ganassi(1535), D.Ortiz(1553), G.dala Casa(1584), G.Bassano(1585-1591),
R.Rognioni(1592), G.B.Bovicelli(1594) ou encore G.Caccini(1602-1614)…Mais
ne nous a t’elle fait pas perdre toutes les lois non écrites,
les éléments tenus pour acquis, l’esprit même
du baroque. Et même s’il nous faut retrouver le sens,
la perception et le rôle de l’écrit pour un artiste
du XVIème siècle en prenant en compte l’importance
de la transmission orale, ses traités représentent
une donnée importante sur la pratique de " l’invisible "dont
nous n’aurions autrement pas eu connaissance.
Le libre citoyen grec antique est une référence
pour les nobles ou personnes fortunées de la Renaissance,
ces derniers reçoivent outre une formation religieuse,
une initiation aux " arts libéraux "(quadrivium
et trivium) auxquels s’adjoindront " les beaux-arts ".
Ils vont organiser des rencontres au sein de nombreuses académies
qui sont en train de se créer. Il est utile d’ajouter
que la musique (science du quadrivium) va sous l’influence
de la philosophie d’Aristote redécouverte au XVIè
siècle, intégrer la "mimésis " dans
le processus créatif. Ce point est tout à fait
essentiel dans les nouveaux rapports qui vont s’instituer
entre le texte et la musique et avoir des répercussions
instituant ce que Monteverdi nommera la " seconda
prattica ".
Le " stylo recitativo " dont parle G.Caccini
dès 1602 relève de la rhétorique avec
le rôle fondamental du texte. Il laisse augurer le rôle
prédominant que va remplir la basse continue, forme
d’improvisation fondement même de cette nouvelle créativité
sachant que la mise au point en 1509 de la tablature pour
le luth en était probablement déjà la
gestation.
Il est probable que ces pratiques mises au service de la
compréhension des caractères de la musique ont
permis des affeti de bon goût (notion de plaisir
essentielle durant tout le baroque), en revanche des " dévoreurs
de notes " nous ont laissé des anecdotes
révélatrices des réactions à cette
" virtuosité exacerbée ".
N’oublions pas que l’utilisation évidemment différente
des micro-intervalles, glisser entre plusieurs notes (glissando),
chanter en jouant pour les instrumentistes comme d’ailleurs
réaliser plusieurs sons en même temps (multiphoniques)
ne représentent en aucune façon une nouveauté
du seul XXème siècle.
Le vibrato adapté aux différents affects comme
d’ailleurs le jeu de tremblant de l’orgue sont connus dès
la fin du XVIè siècle…
En 1592, Zacconi précise à propos des chanteurs
que le tremolo est le véritable moyen d’accéder
aux passagi et pense qu’il vaut mieux apprendre les diminutions
à l’oreille plutôt que suivre les modèles
écrits puisqu’il est impossible de transcrire les rythmes
de façon correcte (parallèle évident
avec le Jazz). Mais, ce qui fait l’ultime triomphe et la justification
de l’ornementation improvisée, c’est le rôle
qu’elle joue pour transformer la musique de la renaissance
en quelque chose de nouveau et d’essentiellement différent:
Les ricercares laissent déjà entrevoir des formes
plus élaborées, les affeti annoncent la rhétorique,
la basse continue fondement même du baroque, le récitatif
et bien sûr l’opéra avec E.de Cavalieri "la representatione
di anima e di corpo "(1600), G. Peri (ou/et G.Caccini)
" euridice "(1600) , C.Monteverdi
"l’orfeo "(1607).
Il reste à nous nourrir de toutes ses " formules " :
les passaggi des italiens, agréments
des français, graces des anglais, glosas
des espagnols pour à nouveau les reproduire, mixer,
tuiler, en inventer d’autres adaptées au caractère
et ainsi retrouver cette spontanéité, ce mouvement
permanent qui rend cette musique vivante. La participation
au processus de composition était une des caractéristiques
de la vivacité des artistes, ne faut-il pas aujourd’hui
se rapprocher des compositeurs, être " contemporain
de son époque " (tautologie volontaire) afin
de définir son authenticité ? Remettre
en mouvement ces instruments pour mieux percevoir la musique
des siècles passés ?
Si ses pratiques " d’improvisation "
sont à encourager au sein de nos structures d’enseignement,
il reste que l’acte militant consiste avant tout en un engagement
en faveur de la création contemporaine afin de permettre
à nouveau l’émergence d’une diversité
de langage.
J.G
Quelques livres (liste non limitative):
- Letters of composers, an anthology, Alfred A.Knopf New
York
- Medieval instrumental dances de Timothy J.McGee, Indiana
University Press
- Embellishing sixteenth-century music de Howard Mayer Brown,
Oxford University Press (traduit aux presses universitaires
de Lyon),
- Music in the medieval world de Albert Seay, Prentice Hall
Inc (traduction chez Actes-Sud)
- Gradus ad Parnassum de Johann Joseph Fux, éditions
Mardaga
- L’art du chant en France au XVIIe siècle de Théodore
Gérold, éditions Minkoff
- Concert Baroque d’Alejo Carpentier, éditions Folio.
- Traité des instruments de musique de Pierre Trichet,
éditions Minkof
- La variation chez Matisse, éditions Dover-New
York.
- Art et Architecture de Rudolf Wittkower chez Hazan
- L’œuvre d’art par Béatrice Lenoir chez Flammarion
- méthodes et traités musicaux de Philippe
Lescat IPMC La villette
- Orchesographie de Thoinot Arbeau, éditions Minkoff,
- L’improvisation de Derek Bailey traduit aux éditions
Outre Mesure ( à noter le livre de Jacques Siron
sur la partition intérieure, jazz, musiques improvisées)
- Rhapsodie Hongroise, vie de Liszt de Zsolt Von Haranyi,
éditions de Paris,
Concerts, enregistrements, instruments…
- Médiathèque et musée de la Cité de la musique 221, avenue
Jean Jaurès 75019 Paris
- Centre médiéval, 13 rue Bobillot 75013 Paris
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